Il vole le Loulou

Au-dessus des ceps il patine dans le ciel avec la même adresse qu'un hockeyeur professionnel au sein de sa défense. Il zigzague en amont des vignes, slalome entre les lignes électriques, les habitations et autres obstacles comme il tourbillonnait autour des attaquants adverses afin de préserver la cage du HC Sierre.

Il passe des patins à glace à ceux situés sous des pales. Il est pilote dhélicoptère, comme prévu. Il fut hockeyeur de haut niveau, comme prévu. Mais les rêves ne se réalisent pas sans travail, sans angoisse, sans ténacité.

Jean-Louis Locher n'a perdu ni son sourire ni ses souvenirs j'ai pu jouer du hockey en juniors à condition de ramener de bonnes notes de l'école. Ce qui allait. Mais au retour d'un match avec 10 points de suture à la tête ma mère m'a mis en garde. Encore une fois un truc comme ça et le hockey c'est fini. Par chance ce fut la seule blessure grave que j'ai subie.

Née en 1957, il joue à Martigny jusqu'en 1975. Puis ce sera Villars. A l'âge de 21 ans il rejoint les rangs du HC La Chaux-de-Fonds.

La suite de son orientation le titille déjà. Il a vu d'anciens pros sombrer au terme de leur carrière.

J'étais attiré par les ordinateurs qui faisaient leur apparition sur le marché. De piloter un hélicoptère était un rêve de gosse. Je doutais d'en être capable. Mais il m'était impossible d'abandonner ce projet. Petit j'adorais m'amuser avec un appareil télécommandé. Ces objets volants ne cessaient de me captiver. Sitôt qu'un d'eux surgissait dans le ciel en plein match j'en oubliais le puck et mes coéquipiers.

Il prend alors contact avec Bruno Bagnoud qui lui propose une balade dans les airs. Après laquelle Jean-Louis demande s'il peut commencer sa licence immédiatement. Il émet quelques réticences. Il a un peu peur, il craint le vertige. La peur est bonne conseillère et le vertige n'est qu'une illusion, je l'ai eu aussi, lui répond son futur patron.

Après La Chaux-de-Fonds il a risqué de rejoindre le HC Bienne. Mais il appartient au Valais qui le veut et le garde. Il intègre le HC Sierre. Participe, en vain, à plusieurs Finales, jusqu'à la bonne. Celle de la saison 84-85 qui débouche sur une nouvelle promotion en ligue A, grâce à une victoire inoubliable à Coire.

Durant ces périodes Loulou vend des véhicules pour Emil Frey. Le salaire des hockeyeurs n'est pas mirobolant. Il a fallu débourser cent mille francs pour sa licence. Qu'il obtient en 1981. Il a désormais le droit d'atterrir en dessous de 1000 m. et celui de voler en campagne.

En 1984 son frère aîné décède d'un AVC. Il était plus qu'un frère, un ami, un confident. Un père de deux enfants. Capitaine à l'armée et chef trés estimé des pompiers à Nendaz. Il avait même calculé l'altitude du somment du clocher de l'église de Basse-Nendaz.

 

Peu après Jean-Louis et sa compagne de toujours décident de se marier. Ils auront trois enfants, Deux filles et un garçon. Mélika, née en 85. Pauline en 88. Et Thierry, en 92. Lorsqu'il emmène ce dernier voir un match de hockey, Sion-Nendaz, celui-ci lance, à la fin du match c'est un sport de brut. Il sera plus attiré par la musique.

La promotion en ligue A est une chose. Il faut encore que Loulou atteigne le nombre d'heures exigé pour exercer la profession qu'il envisage. Au hasard d'une interview il lâche j'irai jouer dans n'importe quel club, pourvu qu'il me donne la possibilité de terminer ma formation de pilote.

Ambri-Piotta saute sur l'occase et l'engage. Mais les heures d'entraînement coïncident avec celles de vol d'Air-Ticino. C'est raté.

C'est le HC Martigny de René Grand qui va emporter la mise. Avec à la clef un contrat chez Air-Glaciers. La nouvelle lui est annoncée par son épouse. Depuis une cabine téléphonique de la gare. Celle-ci lui demande de s'asseoir. Mais il n'y pas de siège dans la cabine. La nouvelle est bonne, l'homme tient debout. Même si au lieu de jouer en ligue A il rejoindra la première ligue.

 

Le 1er avril 1986 il signe son premier contrat avec Air-Glaciers qu'il ne quittera plus.

Sauver des vies équivaut à bien plus que marquer des buts, confie Lean-Louis. Qui n'oubliera jamais le sauvetage d'un jeune homme de 20 ans en 1987. Disparu dans la région de Gryon depuis 72 heures. La REGA avait appelé Air-Glaciers en renfort. Deux-cents volontaires étaient engagés pour le retrouver. Après son sauvetage et trois jours d'hopital son père m'avait dit pour moi c'est une 2ème naissance.

Bien d'autres épisodes dramatiques ont jalonné la vie de ce pilote chevronné. Parmi eux des avalanches meurtrières. Les évacuations de bêtes foudroyées ou dérochées dans les alpages. L'alimentation en eau de ces derniers lors de périodes de sécheresse. Ou alors en fourrage lors de neige estivale.

Lors d'une mission de sulfatage du côté de Chexbres il était venu poser son appareil la veille. Sitôt à terre il reçoit un appel de la police locale votre appareil est réquisitionné. Deux évadés de prison s'étaient réfugiés dans un immense champ de maïs. Les chiens ne marquaient pas. 90 secondes plus tard l'hélico survole le champ et 15 secondes de plus ont suffi à repérer les fugitifs qui faisaient les morts, couchés dans le champ.

Jean-Louis Locher tape du poing lorsqu'il évoque la condition des pilotes à partir de la soixaine. On nous prend pour des séniles, susceptibles de devenir sourds, muets ou débiles chaque trois mois. Nous sommes harcelés par des contrôles médicaux coûteux et réguliers.

Une injustice contre laquelle ce battant se battra tant il est en pleine faculté de ses moyens. Après 16000 heures de vol il pourrait parcourir nos contrées les yeux fermés. Connaît par coeur le parcours du soleil, la malice des vents, les voies des cols, des vallées et des hauts sommets.

Notre entretien se termine à l'intérieur de l'héli-bar avec un petit café. Même qu'il aurait tant de choses encore à nous dire.

Source : Tout un Canton

 

Lien : article original du 27 octobre 2019

Air-Glaciers, 28 octobre 2019